{ BIOGRAPHIE }
Carmen Boullosa (Mexico, 1954) est romancière, dramaturge et poète. Elle a reçu de nombreux prix pour son oeuvre dont le Prix Café Gijón en Espagne pour son roman El complot de los Románticos, le Prix Xavier Villaurrutia au Mexique, et en Allemagne le Prix Anna Seghers et le Liberatur de la ville de Francfort. Elle a obtenu une bourse de la fondation Guggenheim, du Centre Mexicain des Ecrivains (Centro Mexicano de Escritores) et du Cullman Center de la New York Public Library. Elle a été professeur invitée dans les universités de Columbia, Georgetown, SDSU, NYU, a fait partie du corps académique de l’Université de la Ville de New York, du City College et a occupé la chaire Alfonso Reyes de la Sorbonne. Elle participe au programme de TV Nueva York, à New York, ce qui lui a valu d’être récompensée de 4 New York Emmys. Au Mexique, elle est membre du Systéme National des Créateurs (Sistema Nacional de Creadores). Disparaître est le premier roman qu’elle a publié au Mexique en 1987.
«Si je devais choisir une cuisine littéraire pour m’y installer une semaine, je choisirais celle d’une écrivaine … je vivrais très à l’aise dans la cuisine de Silvina Ocampo, dans celle d’Alejandra Pizarnik, dans celle de la poétesse et romancière mexicaine Carmen Boullosa ou dans celle de Simone de Beauvoir.»
Roberto Bolaño
ISBN : 978-2-35371-295-3
Rayon : Littérature / Edition Bilingue Format : 11,5x21 cm
Prix : 12 euros
192 pages
{ ENTRETIEN AVEC CARMEN BOULLOSA }
MadameDub : Mejor desaparece est votre premier livre ; d’où est venue l’inspiration pour ce livre, et comment est né le besoin d’écrire ? Diriez-vous que c’est une autobiographie romancée ?
Carmen Boullosa : J’ai écrit Mejor Desaparece après avoir essayé de bâtir un long roman réaliste qui raconte l’histoire d’un homme ayant récemment perdu sa femme et la fille qu’ils avaient ensemble. Je voulais reproduire un monde gothique/hanté par les fantômes, dans un environnement urbain, le Mexico City des années 1970. J’avais de la fureur dans mon cœur – ma mère venait de mourir, son décès nous « hantait », mes frères et sœurs et moi. J’ai laissé le « grand » roman de côté, et me suis concentrée sur la fille de ce roman original, je l’ai vomie si je puis dire, je l’ai broyée contre le sol, et elle est finalement devenue plusieurs autres individus fragmentés. Ceux-ci sont mes personnages. Nés à partir de ma douleur (celle d’avoir perdu ma mère), de ma rage (contre la nouvelle femme de mon père, qui n’aurait pas pu être plus méchante à l’égard de mes frères et sœurs). C’est très personnel, et aussi très fantastique.
Il me faut clarifier un point : Mejor Desaparece n’était pas mon premier livre. J’avais déjà publié 3 recueils de poésie ayant eu une très bonne réception de la part de la critique. J’étais hautement considérée comme une poète. Cela fut en partie la raison pour laquelle j’ai gardé mon premier roman pendant près de 7 ans. Je savais que les poètes ne sont jamais pardonnés quand ils publient des romans – ils perdent le glamour, ils semblent moins… Il y avait également le facteur personnel. Je savais que certaines personnes allaient reconnaître des parties de ma vie dans le livre, des parties très personnelles, et je ne me réjouissais pas de cela.
MadameDub : Le livre commence sur le ramassage du « Ca » par le père de famille. Le lecteur ne sait jamais vraiment ce qu’est ce « Ca », mais il va devenir une obsession pour le père et bouleverser définitivement la vie du foyer. Le terme « Ca » évoque beaucoup au vocabulaire freudien ; Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet ?
Carmen Boullosa : « Eso » -« Ca »- est « le diabolique », « el Mal ». C’est la belle-mère aussi. C’est la mort de la mère. C’est l’incarnation de la maladie qui frappe la famille.
MadameDub : Le récit mêle la narration de plusieurs voix, et met l’éclairage sur différents aspects de la vie familiale. Comment avez-vous procédé pour ce travail d’écriture ?
Carmen Boullosa : Je l’ai écrit d’un trait. Du début à la fin. Je me suis littéralement enfermée à la maison et j’ai écrit sans m’arrêter jusqu’à ce que je parvienne à rassembler tous les fragments. C’était comme une explosion. Le flux était rapide, constant, comme si cela avait précédemment été écrit. Comme un miracle.
MadameDub : Comment ce livre a-t-il été perçu au Mexique ?
Carmen Boullosa : Le livre a reçu beaucoup d’attention. La plupart des critiques l’ont vraiment apprécié, et certains l’ont adoré. J’ai été quelque peu surprise : il brosse le portrait d’un monde répugnant… Et il ne le « polit » en aucune manière.
MadameDub : Pourquoi le publier à présent en France ? Quel regard porte-t-on sur son premier livre des années plus tard, lorsque l’on est une auteure reconnue ?
Carmen Boullosa : C’est entièrement le fait de Sabinne (ndlt Sabine Coudassot-Ramirez est la traductrice du roman). Elle l’a traduit, elle a trouvé un éditeur. Tout est de son fait. Tout ce que je peux faire, c’est lui être reconnaissante.
MadameDub : En plus de la littérature, c’est désormais sur un projet de cinéma que vous travaillez, avec la sortie au Mexique de « Los parades hablan ». Pouvez-vous nous en dire plus sur ce projet ? Aurons-nous la chance de le voir en France ?
Carmen Boullosa : Ma fille est actrice. Mon fils est producteur – il a travaillé sur des films, comme le documentaire « Chávez » de Diego Luna, ainsi que sur plusieurs publicités. Je voulais travailler avec eux, à présent qu’ils étaient deux adultes. La dernière fois que nous avions fait quelque chose ensemble ils étaient tous les deux des adolescents. J’ai écrit une pièce de cabaret, elle fut montée et ils ont tous deux joué dedans (ils interprétaient les filles de Freud – le rôle principal était joué par Jesusa, qui est une actrice et réalisatrice très connue au Mexique). Nous nous sommes beaucoup amusés. Mais cette fois, ce fut notre première collaboration en tant que 3 adultes. Nous avons commencé à travailler sur ce film avec un de nos amis, le producteur de films Anfrew Fierberg (« Fur », avec Nicole Kidman, parmi 30 autres films ; il a travaillé avec David Lynch, Ethan Hawk et beaucoup d’autres). Nous avons réuni une équipe mexicaine. Il est déjà lancé, and nous verrons si nous sommes en mesure d’intéresser quelqu’un pour le distribuer à l’étranger. Ce n’est désormais plus entre nos mains. J’espère que nous trouverons quelqu’un intéressé pour rendre possible sa diffusion en France.
Entretien réalisé par Emma Breton pour Madamedub.com
{ CRITIQUE DU ROMAN, SUR MADAMEDUB.COM }
La vie de famille des Ciarrosa changea du jour au lendemain, lorsque le père ramassa « Ça » dans la rue. Mais qu’était-ce donc ? Un déchet ? Une bête ? Si elle est repoussante, cette chose attire et fascine la famille, au premier rang de laquelle le père qui semble ne plus pouvoir en détourner son attention.
Les filles de la maison grandissent comme des fleurs en pot : à l’étroit, constamment surveillées, elles évoluent dans un monde clos et inquiétant. Des fleurs, d’ailleurs, elles portent les prénoms. Marguerite, Orchidée, Magnolia… « Le lecteur se demandera pourquoi nous ne nous échappons pas. Peut-être dans sa question percevra-t-on une once de reproche que nous pourrions traduire comme il suit : Puisque vous ne le faites pas, vous méritez la vie que vous menez ! Dans l’immédiat sortir d’ici est impossible, il est clair que nous n’avons qu’une vie et que nous ne pouvons pas penser à une scission.
Carmen Boullosa, avec le style nuancée, lapidaire et imagé qui est le sien, raconte le quotidien de cette famille, comme un jardin d’Eden où les pommes seraient irrémédiablement gâtées. Ce récit intriguant, mystérieux, capte et fascine. Par la brièveté des chapitres et l’écriture claustrophobe de cet espace familial, il nous rappellera un peu L’écume des jours de Boris Vian. L’écrivaine mexicaine n’est pourtant en rien étrangère à ce foyer de fleurs fanées. L’alternance de la narration à la première personne ainsi que l’intimité nous laissent rapidement penser qu’elle livre ici un récit au plus près de son vécu. Elle confie d’ailleurs que la publication de ce récit, le tout premier de cette auteur reconnue comme un des piliers de la littérature mexicaine, ne fut pas chose facile. Comme toutes les vérités intimes, elles fascinent autant qu’elles dégoûtent.
Qu’est ce que ce « Ça » si obsédant ? N’importe qui en pleine possession de ses moyens, peut ramasser ça dans la rue et le jeter quelques mètres plus loin (…) Mais le cas de papa va beaucoup plus loin que ceux qui viennent d’être décrits (…) en dehors du fait que ça me dégoûte d’y penser, je ne le crois pas, car je ne l’ai jamais vu le toucher – il devait prendre des cartons comme je l’avais fait ou une pelle pour le faire passer constamment d’un lieu à un autre.
Mais si répugnant qu’il soit, et si insignifiant, le « ça » devient une idée fixe pour tous les membres de la famille, comme toutes les secrets de famille ou les cadavres dans les placards…
Pour le lecteur initié à la psychanalyse, le « ça » nous évoque le lieu obscur et sombre où se terrent les plus inavouables pulsions de la vie et de la mort. Des élans sans objets ni raisons.
Il est ici tout aussi insidieux, il est quelque chose de nocif et de radicalement étranger à la famille.
Et pourtant, face à ce « ça » si intrusif, la famille se resserre autour d’une sourde violence. Orchidée s’enfuit, jetant un peu plus l’opprobre sur une famille déjà blottie dans sa honte et sa solitude. Malgré un défilé d’étrangers, palliatifs éducatifs ou ménagers, rien ne semble pouvoir endiguer la dégradation du foyer : vous n’avez rien, vous n’avez jamais rien eu. Vous êtes nés d’une feuille ; votre corps est un vestige ; ce sont les ruines d’un passé qui n’a jamais été présent ni futur. Personne ne le démentira jamais.
Disparaître est un texte dur et poétique, sur la rudesse et la force des liens familiaux, sur ce qu’ils détruisent, et sur ce qu’ils renforcent. Carmen Boullosa ne donne ni conseils ni morale, elle narre comme un poème une enfance égrainée par la violence et le ressentiment.
Aussi écrit-elle :
C’est nous les morts
- les abandonnés,
les laissés pour compte –
pas vous,
pas vous qui nous regardez sans reproches
(…)
C’est nous et pas vous
Dont le squelette rapetisse chaque jour
Dont la bouche est de plus en plus vide
Juste un goût amer
Car les goûts, nous les avons épuisés.
{ BIBLIOGRAPHIE }
- Las paredes hablan, Siruela, 2010
- El complot de los Románticos, Siruela, 2009
- The Virgin and the Violin, Siruela, 2008
- El Velázquez de París, Siruela, 2007
- La novela perfecta, Alfaguara, 2006
- La otra mano de Lepanto, Editorial Siruela, Madrid, 2005.
- De un salto descabalga la reina, Editorial Debate, Madrid, 2002.
- Treinta años, Alfaguara, 1999.
- Cielos de la tierra, Alfaguara, 1997.
- Quiza, Monte Avila Editores, Caracas, 1995.
- Duerme, Alfaguara, Madrid, 1994. / Français : Duerme, L’eau des lacs du temps jadis, L’Atalante, 1997, et Le Serpent à plumes 1999, traduction de Claude Fell.
- La milagrosa, Era, 1993.
- Llanto: novelas imposibles, Era, 1992.
- El medico de los piratas: bucaneros y filibusteros en el Caribe, Ediciones Siruela Madrid, 1992.
- Son vacas, somos puercos: filibusteros del mar Caribe, Era, Mexico City, 1991. / Français : Eux les vaches, nous les porcs, Le serpent à plumes, Paris, 2002, traduction de Claude Fell.
- Antes, Vuelta, Mexico, 1989. / Français : Avant, Les Allusifs, Québec, Canada, 2002, traduction de Sabine Coudassot-Ramírez.
- Mejor desaparece, Océano, Mexico, 1987. / Français : Disparaître, DuB éditions, Nîmes, France, 2012, traduction de Sabine Coudassot-Ramírez.
Carmen Boullosa
- Categories →
- Auteur