{ PRESENTATION DE L’OUVRAGE }

Enfermées dans la maison paternelle comme des fleurs en pots, un bouquet de jeunes filles aux noms de flore tente de vivre et s’épanouir dans une famille défaite et désorganisée. Fannées par la honte et la maltraitance, elles survivent pourtant comme des fleurs sauvages au milieu de bien étranges dangers.

{ CRITIQUES }

«Disparaître est un roman sur l’enfance dans des tons criards et acides. Ce n’est pas un roman rose et il n’y a pas de place dans ce livre pour l’auto-compassion ou l’auto-complaisance… Sa caractéristique principale est la pratique de l’ellipse qui permet à l’auteur de restituer les mystères de l’enfance avec la plus grande intégrité. Un style fantastique, ludique et acide.»

Fabienne Bradú, Revista Vuelta

«Le voyage en enfance que Carmen Boullosa retrace dans Disparaître est une page remarquable de la prose mexicaine contemporaine. Nous sommes face à un roman aussi strict que pervers, qui possède une consistance dramatique élaborée à partir de l’obstination d’une voix très personnelle.»

Christopher Domínguez, Revista Proceso

{ EXTRAIT }

Il est entré dans la maison en courant, bruyamment, tout excité, sur le point d’exploser, et nous l’avons entendu et senti avant même qu’il ne se mette à produire ces cris horribles que nous connaissons si bien et qu’il ne devait jamais plus émettre. Il est entré comme un enfant, un enfant sauvage, hors de lui, sans respecter ce que nous pourrions appeler le rythme tranquille de ces murs, sans s’arrêter, comme si la maison n’était qu’une étape dans sa course folle, sans pouvoir contenir l’excitation que lui procurait le fait d’amener ça avec lui, et quand il a commencé à crier, à beugler, tous, nous avons tous couru vers lui. Que criait-il ? Criait-il « Venez ! » ? Criait-il « Ça va tomber si vous ne vous dépêchez pas » ? Ou « Venez vite voir ce que je vous ai apporté » ? Je ne peux me rappeler ses mots parce qu’à ce moment-là je n’ai pas pu les entendre. Ils étaient opacifiés par le vertige qui les entourait. Plus que des mots c’étaient des chèvres sauvages ou des griffes féroces ou des sabots horrifiés par une longue course. Et le ton ! Le ton sur lequel il les disait ! Encore aujourd’hui, après toutes ces années, il me semble sentir ce ton dans les moments terribles, quand j’ai l’impression que, pour un caprice, l’univers est sur le point de s’écrouler. Il balançait les mots avec l’insistance d’un vomissement, comme les chiens blessés jettent leurs aboiements, leurs miaulements  silencieux les chats que des enfants cruels noient dans des seaux d’eau bouillante : « Venez ! » « Il faut que vous voyiez ça ! » C’est quelque chose comme ça qu’il a dû crier, et nous sommes tous venus voleter autour de ça, tous ses enfants, momentanément transformés en petites mouches indécises autour de lui, sans oser rester trop près de ça pour l’inspecter suffisamment, sans savoir que c’était destiné à partager notre vie pour un temps infini. Nous n’osions pas demander « Qu’est-ce que c’est ? », ou « De quoi est-ce fait ? », et tandis que papa soufflait comme un cheval agité, ce que nous n’aurions jamais imaginé découvrir en lui, nous n’avons pas non plus demandé « Qu’est-ce qui t’arrive ? Bon sang papa, qu’est-ce qui t’arrive ? »

 

Sortie le 9 octobre 2012
ISBN : 978-2-35371-295-3
Rayon : Littérature / Edition Bilingue Format : 11,5x21 cm
Prix : 12 euros
192 pages

Couverture : Des racines et des haines, réalisée par Julien Cluchague

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{ ENTRETIEN AVEC SABINE COUDASSOT-RAMIREZ, LA TRADUCTRICE DU ROMAN }

Madamedub.com : La traduction inédite de « Mejor desaparece » de Carmen Boullosa en français, c’est avant tout l’histoire d’une rencontre. Pouvez-vous nous la raconter?

Sabine Coudassot-Ramirez : Ma rencontre avec Carmen remonte à il y a (déjà !) presque 20 ans. J’étais alors étudiante et en recherche d’un sujet de thèse. J’avais lu tout ce que Carmen avait alors publié et mon directeur de recherche, Claude Fell, m’avait communiqué les coordonnées de Carmen. Comme je suis timide, j’avais attendu le dernier moment pour tenter de la joindre et à quelques jours de mon retour en France, je m’étais enfin décidée à l’appeler. Elle m’avait accueillie très chaleureusement et, le temps pressant, proposé de venir déjeuner chez elle dès le lendemain. Elle m’avait alors consacré tout son après-midi et j’avais enregistré notre première interview, que j’ai ensuite reproduite dans la thèse de doctorat que je lui ai consacrée (Carmen Boullosa : itinéraires d’une graphographe fantastique (2001) Université de Paris 3 Sorbonne Nouvelle). A partir de ce jour, nous n’avons jamais perdu le contact et nous sommes rencontrées chaque fois que l’occasion s’est présentée. Je l’ai ainsi invitée en 2001 à faire une conférence à l’Université de Nîmes où elle reviendra sans doute pour parler de Disparaître dans les mois qui viennent.

Madamedub.com : Lorsqu’on a la chance de lire l’espagnol, on remarque toute la complexité et la richesse de l’écriture de Carmen Boullosa. Comment travaille t-on à la traduction d’un tel texte?

Sabine Coudassot-Ramirez : Avec amour ! Traduire demande d’avoir beaucoup de temps. Il faut s’imprégner du texte pour rendre compte précisément des nuances de l’écriture, style et langue d’origine. Puis s’en « désimprégner » pour ne pas faire violence à la langue française. « Traduire c’est trahir » disaient déjà les Anciens. Il faut souvent s’autoriser à s’éloigner du littéral pour trahir le moins possible le texte originel et la langue dans lequel on le restitue. Délicat exercice d’équilibriste qui demande de nombreuses relectures. C’est pourquoi d’ailleurs l’édition bilingue apporte un plus pour le lecteur qui connaît les deux langues. Les va et vient que permet le face à face des pages en espagnol et en français permet de comprendre les nuances du texte et c’est un vrai luxe pour un traducteur que d’avoir cette possibilité. Je profite donc de cet espace pour remercier une fois encore les éditions DuB de l’avoir rendu possible.

Madamedub.com : En quoi est ce que « Mejor desaparece » se distingue des autres livres de l’auteur? 

Sabine Coudassot-Ramirez : Disparaître est le premier roman de Carmen Boullosa mais on peut dire aujourd’hui qu’il constitue une véritable matrice de son œuvre tout en étant déjà très abouti et très maîtrisé. On y trouve les obsessions fondatrices de l’univers de Carmen Boullosa : les personnages « esclaves » d’un corps toujours sur le point de leur échapper ou d’être possédé, un lieu clos régi par des lois arbitraires et brutales, un texte de l’inconfort qui joue à faire planer une menace sur les personnages comme sur le lecteur.
Ce premier roman est donc un livre-matrice et pourtant il occupe une place à part dans la longue bibliographie de Carmen Boullosa. Ce qui caractérise l’œuvre de Carmen Boullosa c’est son extraordinaire diversité. Au fil de ses romans elle a exploré toutes les époques depuis la période préhispanique en ressuscitant Moctezuma (LLanto, novelas imposibles, ERA, 1992, non traduit en français) jusqu’à un futur de désolation (Cielos de la tierra, Alfaguara, 1997, non traduit en français). Elle a fait des incursions chez les pirates des Caraïbes (Nous les vaches, eux les porcs, (trad. Claude Fell) Serpent à plumes, 2002), et même chez les vampires ! (Isabel, in Prosa rota, Plaza y janés, 2000, non traduit en français). A cette très brève évocation de quelques-uns de ses titres on comprend que Carmen Boullosa ne s’interdit rien et que son œuvre revisite des univers très différents. L’imagination règne en maître dans son œuvre. Bien évidemment, il est important d’ajouter qu’elle ne s’en tient pas au roman puisqu’elle publie aussi du théâtre et de la poésie, et qu’elle crée des livres d’artiste.
Dans cette riche bibliographie, Disparaître forme avec Avant, (Les Allusifs, 2003) une sorte de diptyque qui trouve ses sources dans la biographie de Carmen Boullosa. Les deux sont des livres sur l’enfance qui empruntent au gothique et se font écho de façon toute particulière. De ce point de vue, ils sont une exception dans la bibliographie de l’auteur qui continuera ensuite à se nourrir de son expérience mais de façon beaucoup moins évidente.

Madamedub.com : Comment est-ce que l’oeuvre de Carmen Boullosa s’insère dans la littérature mexicaine? Que lui apporte t’elle et en quoi est-elle singulière?

Sabine Coudassot-Ramirez : Je répondrai ici en commençant par la fin. Je crois que ce que Carmen Boullosa apporte en premier lieu à la littérature mexicaine, c’est justement sa singularité. Elle est une voix qui n’appartient qu’à elle, un style très personnel. En un mot, elle est inclassable. En jetant un coup d’œil sur son blog (www.carmenboullosa.net) on peut voir la longue liste des travaux universitaires qui lui ont été consacrés et qui montrent à quel point son univers est riche mais aussi que la critique ne parvient pas à l’épuiser. Elle échappe à toute tentative de réduction ou de simplification. Aborder l’univers de Carmen Boullosa c’est se lancer dans une exploration qui ne fera qu’ouvrir de nouvelles perspectives. C’est une œuvre ouverte à tous les vents et s’y lancer implique d’avoir l’esprit aventureux !

Madamedub.com : Avez-vous d’autres projets de traduction? Ou d’écriture même peut-être? Quels sont vos auteurs de référence?

Sabine Coudassot-Ramirez : Oui, j’ai d’autres projets de traduction. Dans les lignes qui précèdent, j’ai signalé un certain nombre de romans de Carmen Boullosa qui n’ont pas encore été traduits en français. Il reste encore à les faire découvrir aux lecteurs francophones. J’ai d’autres travaux en cours sur d’autres écrivains mexicains et l’envie de continuer à faire découvrir des livres qui me tiennent à cœur. Et puis tout simplement, c’est un exercice qui me procure énormément de plaisir ! Pour ce qui est d’écrire, je suis convaincue de n’avoir aucun talent d’écrivain. En revanche, je suis une lectrice insatiable et plutôt éclectique : je lis tout ce qu’on me recommande des classiques aux best-sellers. J’ai relu récemment sur mon e-book La curée de Zola qui m’avait laissé un souvenir très fort lorsque je l’avais lu adolescente. J’ai pu le télécharger gratuitement en toute légalité et l’outil me permet de revisiter mes classiques. En revanche, j’ai beaucoup plus de mal à télécharger des textes plus récents. Pour ceux-là, j’en reste à la version papier. En ce moment, je lis La gifle de Christos Tsiolkas, un écrivain australien d’origine grecque qui met à mal les hypocrisies et les faux-semblants de l’« australian dream ». Je lis des polars, des BD, des mangas, des essais, et outre Carmen Boullosa, j’ai un gros faible pour Yoko Ogawa (Actes Sud) depuis ses premiers récits jusqu’à ses derniers romans.

Entretien réalisé par Emma Breton pour madamedub.com

 

Disparaître / Carmen Boullosa

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